"Quand la mort baissera la toile entre moi et le monde, on trouvera que mon drame se divise en trois actes... Dans mes trois carrières successives, je me suis toujours proposé une grand tâche : voyageur, j'ai aspiré à la découverte du monde polaire ; littérateur, j'ai essayé de rétablir la religion sur ses ruines ; homme d'Etat, je me suis efforcé de donner aux peuples le vrai système monarchique représentatif avec ses diverses libertés. Des auteurs modernes français de ma date, je suis quasi le seul dont la vie ressemble à ses ouvrages : voyageur, soldat, poète, publiciste, c'est dans les bois que j'ai chanté les bois, sur les vaisseaux que j'ai peint la mer, dans les camps que j'ai parlé des armes, dans l'exil que j'ai appris l'exil, dans les cours, dans les affaires, dans les assemblées que j'ai étudié les princes, la politique, les lois et l'histoire... Si j'ai assez souffert dans ce monde pour être dans l'autre une Ombre heureuse, un peu de lumière des Champs-Elysées, venant éclairer mon dernier tableau, servira à rendre moins saillants les défauts du peintre : la vie me sied mal ; la mort m'ira peut-être mieux."

CHATEAUBRIAND

Fragments tirés de la préface testamentaire des MEMOIRES D'OUTRE-TOMBE commencés en 1806, constamment revus par l'auteur jusqu'à sa mort le 4 juillet 1848.

 

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LA LIBERTE DE LA PRESSE

   Si l'on réunit aux écrits ci-après ce que j'ai dit de la liberté de la presse dans La Monarchie selon la Charte, dans mes anciens Discours et Opinions, et jusque dans ma Polémique, on sera forcé de convenir qu'aucun homme n'a plus souvent et plus constamment que moi réclamé la liberté sur laquelle repose le gouvernement constitutionnel. J'ai quelque droit à m'en regarder comme un des fondateurs parmi nous, car je ne l'ai trahie dans aucun temps. Je l'ai demandée dans les premiers jours de la restauration, je l'ai voulue à Gand [Voyez le Rapport fait au roi dans son conseil à Gand. (N.d.A.)] comme à Paris ; prêchée par un royaliste, elle cessait d'être suspecte à des yeux qui s'en effrayaient, à des esprits qui n'en voulaient pas, à un parti qui ne l'aimait guère. Que ce parti la répudie de nouveau aujourd'hui, cela peut être ; mais il ne la détruira plus. Quand je n'aurais rendu que ce service à mon pays, je n'aurais pas été tout à fait inutile dans mon passage sur la terre.

   La liberté de la presse a été presque l'unique affaire de ma vie politique ; j'y ai sacrifié tout ce que je pouvais y sacrifier : temps, travail ou repos. J'ai toujours considéré cette liberté comme une constitution entière ; les infractions à la Charte m'ont paru peu de chose tant que nous conservions la faculté d'écrire. Si la Charte était perdue, la liberté de la presse la retrouverait et nous la rendrait ; si la censure existait, c'est en vain qu'il y aurait une Charte. N'allons pas chicaner sur le plus ou moins de perfection de la loi qu'on doit soumettre aux chambres : elle abolit, dit-on, la censure : eh bien, tout est là. C'est par la liberté de la presse que les droits des citoyens sont conservés, que justice est faite à chacun selon son mérite ; c'est la liberté de la presse, quoi qu'on en puisse dire, qui à l'époque de la société où nous vivons est le plus ferme appui du trône et de l'autel. Charles X nous délivra de la censure en prenant la couronne ; pour affermir cette couronne, il ne veut pas même que les ministres à venir trouvent dans la loi un moyen de violer la plus vitale de nos libertés [Belle expression de M. Villemain. (N.d.A.)]. Cette noble et salutaire résolution doit rendre tous les coeurs profondément reconnaissants ; elle suffirait seule pour immortaliser le règne d'un prince aussi loyal que généreux.

   Si donc le gouvernement se détermine, comme il y a lieu de le croire, à apporter une loi pour l'abolition de la censure facultative, pour la suppression de la poursuite en tendance et pour l'établissement des journaux sans autorisation préalable, je verrai s'accomplir ce que je n'ai cessé de solliciter depuis quatorze ans.

François-René de Chateaubriand